Lettre de Pierre de Coubertin à Tony Estanguet.
Cher Tony,
Avec l’entrée en scène des athlètes et les premiers succès de nos Bleus exceptionnels : Antoine Dupont, Léon Marchand, Pauline Ferrand-Prévot, …, la véritable magie des JO a commencé et la qualité du travail de préparation en tant que Président du COJO et celui de votre équipe peut être unanimement saluée.
En tant que fondateur de ces Jeux Olympiques des temps modernes, je me dois pourtant de revenir sur la cérémonie d’ouverture à laquelle j’ai eu la chance d’assister et en particulier sur l’esprit de cette inauguration.
Si les moyens mis en œuvre étaient impressionnants, du ballet des délégations en bateaux-mouches particulièrement bien réglé, à la prestation de Céline Dion magistrale, jusqu’au relais de nos plus beaux champions et à l’envolée impressionnante de la flamme olympique, ils n’ont pu masquer l’esprit particulier de cette soirée.
Un esprit partisan, donnant à voir des scènes de mauvais goût, telle celle d’une Marie-Antoinette décapitée apparaissant à chacune des fenêtres de la Conciergerie et disparaissant sous une gerbe de sang ou celle d’un Bacchus prônant la nudité au milieu de drags queens singeant la Cène, ou encore la célébration à peine suggérée du couple à trois, j’ai été d’abord étonné, puis choqué et révolté par ces images qui n’avaient rien à faire dans un hommage au sport de haut niveau et qui ne semblaient être là que pour entraîner l’ensemble de la cérémonie vers … la décadence.
Répondant aux objections de vos détracteurs, vous disiez que cette cérémonie n’avait d’autre but que de « faire rayonner la France et les athlètes », « mettre à l’honneur votre pays » et « rassembler les gens ».
Etes-vous réellement persuadé, cher ami, que c’est en laissant s’exprimer un tel mauvais goût, en voulant choquer et blesser sciemment des millions de personnes à travers le monde, et pas seulement des catholiques, que l’on fait rayonner la France et les athlètes et surtout que « l’on rassemble les gens »?
Votre position de président du COJO, ne vous obligeait-elle pas à rappeler au metteur en scène et aux politiques qui l’ont mandaté la signification de la devise des Jeux Olympiques qui nous guide tous les deux : « Citius, altius, fortus », qui signifie : « plus vite (athlétiquement), plus fort (intellectuellement et mentalement), plus haut (spirituellement) ?
Au plus profond de vous, ne vous sentez-vous pas frustré d’avoir consacré un tel nombre d’heures, de mois, d’années à la préparation de ces jeux pour que cette cérémonie d’ouverture aux moyens extrêmement importants fasse l’objet de tant de critiques et passe à côté de son rôle de rassembleur ?
Vous êtes un grand champion et n’avez compté ni votre temps, ni vos efforts, ni votre réputation pour la tenue de ces jeux à Paris.
Mais, entre sportifs et organisateurs de cette très grande fête du sport, je me devais de vous faire part de cet impair, car je crains qu’aucun des politiques et officiels ne le fassent.
Heureusement, les épreuves ont commencé ; à nouveau, nous allons pouvoir admirer sans retenue tous ces grands champions, de quelque origine qu’ils soient, les encourager, les acclamer, les remercier de ce grand engouement qu’ils font naître en nous ; je suis ainsi persuadé que le vrai esprit olympique, qui lui, ne se mêle pas de politique, reprendra toute sa place et redonnera ses lettres de noblesse à notre devise : citius, altus, fortius.